Enseigner autrement: Comment éduquer les enfants à l'heure des neurosciences ?

Soumis par Anonyme (non vérifié) le mer 05/10/2016 - 00:00
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N’élevons pas nos enfants pour le monde d’aujourd’hui. Ce monde aura changé lorsqu’ils seront grands. Aussi doit-on en priorité aider l’enfant à cultiver ses facultés de création et d’adaptation, Maria Montessori

Le témoignage de Celine Alvarez: le système éducatif actuel en France entrave les envies, étouffe les enthousiasmes et fabrique des adultes malades et malheureux

Il est peu, et de réussites faciles, et d'échecs définitifs, Marcel Proust

Céline Alvarez est linguiste, ancienne professeure des écoles de l'Éducation Nationale, et auteure de "Les lois naturelles de l’enfant" - un ouvrage qui est une invitation à repenser l’école, pour la rendre plus performante et plus épanouissante pour tous. "L'être humain n'apprend pas ce qui ne le motive pas (...) Tant qu'on impose les sujets, l'enfant ne peut pas apprendre (...) les enfants doivent être autonomes pour choisir les activités qui les passionnent, dans un cadre donné", dispose Céline au micro de France Inter, avant de renchérir: "on peut penser une éducation sur des bases scientifiques qu'aujourd'hui on connaît». En appliquant cette méthode, "une petite fille de quatre ans qui avait 28 mois de retard d'apprentissage a rattrapé ce retard en six mois, et l'a même dépassé de 8 mois de plus», précise la jeune femme. «Il faut arrêter les débats idéologiques stériles ! Pourquoi ne se base-t-on pas sur une démarche scientifique ?"

L’école doit devenir le lieu où l’enfant peut vivre dans la liberté, Maria Montessori

Le système éducatif actuel en France entrave les envies, étouffe les enthousiasmes et fabrique des adultes malades et malheureux. "Tout le monde s'épuise avec ce système, les enfants sont à bout, les enseignants donnent tout, et les parents se fatiguent à la maison avec les devoirs», déplore l’institutrice devenue pédagogue. Elle dénonce aussi le système d'inspection des enseignants : «Il faut changer le rôle des inspecteurs. Ça suffit d'infantiliser les enseignants ! (...) Les enseignants ont besoin de se tromper, d'avancer en faisant des erreurs," conclut-elle au micro de France Inter.
Attention, Engagement actif, Retour d'information immédiat, Consolidation. "Chaque année 40 % d'enfants, soit environ 300 000 élèves, en France, sortent du CM2 avec de graves lacunes, et ces lacunes les empêcheront de poursuivre une scolarité normale au collège," explique Céline Alvarez lors d'une conférence TED avant de rajouter:"La première chose que disent les sciences cognitives c'est que pour apprendre, il faut être attentif. En plus d´être attentif, pour apprendre, il faut être engagé activement. La troisième chose, lorsque nous sommes attentifs, engagés, il faut également recevoir un retour d'information immédiat sur l'action que nous sommes en train d'effectuer. Lorsque nous sommes attentifs, engagés, que nous recevons un retour d'information immédiat, nous avons besoin ensuite de répéter pour consolider", affirme également Céline avant de revenir sur l’expérimentation dont elle a été l’initiatrice dans une maternelle située en ZEP, à Gennevilliers (Hauts-de-Seine) et dans laquelle, pendant trois ans, elle a testé sur une même classe une méthode pédagogique fondée sur les principes Montessori et sur l’apport des neurosciences.

Le cerveau d’un enfant varie selon la pédagogie qu’on lui applique

L’organisation du cerveau de l’enfant est le résultat des interactions constantes qui existent depuis sa conception, entre son héritage génétique et les stimulations de son environnement. Tout n’est pas joué à la naissance. Il y a 100 % d’innée et 100 % d’acquis, Boris Cyrulnik

Chercheuse en neurosciences cognitives affiliée à l’Inserm, Manuela Piazza qui a collaboré avec Céline Alavez, explique dans un article de Télérama: "Regarder des images d'un cerveau d'enfant, par nature plastique et flexible, changer en fonction du type de pédagogie qu'on applique est très impressionnant. La question du stress, en tant qu'inhibiteur des acquisitions, n'est plus à démontrer. Il faut maintenant en tenir compte, faire par exemple en sorte que l'erreur soit reconnue comme une étape indispensable de l'apprentissage," et de renchérir: "Je me suis rendue plusieurs fois dans la classe de Céline Alvarez pour observer les enfants, faire des tests, comparer leurs performances cognitives par rapport à la moyenne de la population française, en termes de lecture et de calcul. Non seulement leurs résultats n'étaient pas inférieurs à la moyenne, comme on aurait pu s'y attendre – la plupart de ces enfants étant d'origine immigrée, donc objectivement confrontés à davantage de difficultés – mais ils étaient supérieurs !"

Ce que ne contredit pas Catherine Gueguen, pédiatre, et notamment auteure de "Pour une enfance heureuse", "Comment faire pour que les enfants s'épanouissent pour qu'il soit heureux de vivre, sociable, entreprenant ? Un jour, j'ai tiré un fil et j'ai découvert les dernières recherches sur le cerveau émotionnel de l'enfant," dispose t-elle lors d’une conférence TED, avant de rajouter, pour le magazine Télérama: "A chaque fois qu’on a une attitude empathique (sentir et comprendre des émotions de l’autre) et bienveillante (c’est être empathique), qu’on est soutenant, encourageant, cela permet au cerveau de se développer. Cela touche le cortex préfrontal qui nous permet d’être différent des grands singes, cela fait développer des circuits cérébraux qui vont permettre à l’enfant, progressivement, de savoir gérer ses émotions. (...) On sait que le cerveau est beaucoup plus vulnérable et fragile  que ce que l’on pensait. Et que durant les deux premières années de la vie d’un enfant, il est aussi très malléable. Tout ce qu’on vit s’imprime très profondément dans le cerveau du bébé. Tout ce qu’on dit, tout ce qu’on fait est important. C’est pourquoi les métiers de la petite enfance sont si importants. Rien de ce que font les professionnels n’est anodin. Ils jouent un rôle fondamental le développement de l’être humain."

Au lieu de me concentrer sur les défauts, je me concentre sur les talents. Plutôt que de parler de paix, d’amour et d’harmonie, j’installe la paix, l’amour et l’harmonie.

Une vision que partage, assurément, Chris Ulmer, enseignant spécialisé dans la ville de Jacksonville, en Floride, et qui a remplacé le solennel appel du matin par un rituel "compliment". Devant tout le monde, et un à un, il complimente ses élèves. "Chaque matin," partage Chris Ulmer, "je passe au moins dix minutes à faire des compliments à mes élèves dans ma classe d’éducation spécialisée. Cela ne fait qu’augmenter leur confiance en eux et l’estime d’eux-mêmes. Chaque enfant mérite d’être accepté dans ce monde. Au lieu de me concentrer sur les défauts, je me concentre sur les talents. Plutôt que de parler de paix, d’amour et d’harmonie, j’installe la paix, l’amour et l’harmonie. Les enfants sont formés très tôt par l’expérience. Si leur professeur est méchant et triste, ils verront le monde comme étant un monde méchant et triste. Mais, à l’inverse, si le professeur donne des preuves d’amour, d’harmonie et de paix, alors c’est ainsi qu’ils verront le monde. Quelques semaines après le début de cette expérience, mes élèves ont commencé à se complimenter entre eux spontanément. Ils se félicitent pour leurs réussites comme si chaque réussite était aussi la leur. Ils ne s’insultent jamais. Au contraire, ils s’aident beaucoup mutuellement. La haine, ça s’apprend. L’amour, lui, est naturel. Maintenant, les élèves me regardent dans les yeux. Ils savent même me complimenter !"

Et concrétement ? Le témoignage de Nathalie Vermes, et l'exemple finlandais

Les enfants sont avant tout des êtres humains avant d’être des écoliers ou des élèves

Nathalie Vermes, institutrice, a élaboré une pédagogie qu’elle utilise avec succès chaque jour: "Moi je suis institutrice," explique-t-elle, "et le métier que j’ai choisie c’est de transmettre des connaissances et la première connaissance à acquérir est la confiance en Soi, et le bonheur. Donc ma pédagogie, c’est celle du bonheur." Son but est de "rendre les élèves heureux", et de préciser que les enfants "sont avant tout des êtres humains avant d’être des écoliers ou des élèves." Feuille de route avec tous les savoir-faire à acquérir sur 15 jours - chaque enfant étant libre de son programme, mais avec le cadre de le terminer endéans la quinzaine, apprentissage par projet, la minute du bonheur du matin, adaptation avec chaque enfant, collaboration des élèves entre-eux, etc. sont quelques adaptations que, au fil des ans, Nathalie a appliqué dans sa pédagogie, et qu’elle partage, dans ce témoignage audiovisuel: 

Faut-il mettre au centre du système l’élève ou les savoirs ? En Finlande, chaque élève est important et c’est le système qui doit s’adapter à cette singularité 

"L’éducation devrait consister à faire sortir les qualités que nous portons en nous-mêmes depuis notre naissance. Pas à nous remplir de connaissance comme un vaisseau vide. Chacun de nous porte en lui des qualités, des dons, des attributs, qu’il est important de reconnaître, de faire prospérer, pour les offrir à l’humanité," explique Cyril Dion, réalisateur du film Demain, avant de s'arrêter sur l'exemple finlandais en terme d'éducation, et plus exactement dans la petite ville de Kirkkojarvi et de son école dont le directeur se nomme Kari Louhivuori. "Notre objectif est de mettre l’architecture - de notre école ndlr - au service de la pédagogie. Chaque activité et chaque âge dispose de son propre espace." Et à la question: "Faut-il mettre au centre du système l’élève ou les savoirs ? En Finlande, chaque élève est important et c’est le système qui doit s’adapter à cette singularité plus que l’élève à un système rigide. En Finlande, l'idée qu’un élève heureux, épanoui, libre de se développer à son rythme, acquerra plus aisément les savoirs fondamentaux n’a rien d’une utopie de pédagogue illuminé, c’est tout simplement ce qui oriente l’action de tous: États, Municipalités, Professeurs, etc."

Pour Kari Louhivuori, "l’école doit préparer aux prochaines étapes de la vie, mais pas uniquement à trouver un travail, pour apprendre la tolérance, la compréhension, les différences. Découvrir et apprécier toutes le scultures, toutes les couleurs. Comprendre que tout le monde est important, mais que certains ont besoin d’un peu plus d’aide. S’aimer les uns les autres. C’est une chose que, j'espère, ils auront apprise lorsqu’ils quitteront cet endroit."

De la méditation à l'école ?

En tant qu'enfant, c'est difficile de rester assis et de méditer quand on sait qu'on est sur le point d'ouvrir un sac rempli de cadeaux, mais ils l'ont fait! C'était beau, nous nous souriions avec les profs de les voir ainsi, Kirk Philipps

Aux États-Unis, l’école primaire Robert W. Coleman à Baltimore a décidé d’éliminer toutes formes de sanctions et enseigne aux enfants la méditation et les exercices de respiration, tout en les encourageants à parler à des professionnels du comportement. Le constat: "cette pratique semble apaiser les élèves et surtout, réduire leurs comportements problématiques en classe, donc les possibilités d'en être exclus," raconte le site Huffington Post. Kirk Philipps, le directeur de l’école primaire Robert W. Coleman "remarque également que l'an passé, aucun élève n'a été exclu de sa classe. Et cette année, la tendance est identique. Plusieurs études scientifiques commencent à s'intéresser aux bienfaits de la méditation, notamment en termes de capacité d'attention et de concentration, des qualités indispensables aux élèves de tous âges."

De son côté, le journal Le Monde du 19 mars 2015 titrait: "Au Canada, de nombreux établissements ont fait entrer la « pleine conscience » à l'école. Cette technique permettrait d'améliorer le bien-être et les performances scolaires des élèves," et de préciser que "cette méthode vient d'acquérir ses lettres de noblesse avec la publication, fin janvier, d'une étude scientifique reconnaissant ses bienfaits. Pendant quatre mois, les équipes de Kimberly Schonert-Reichl, chercheuse en psychologie qui a contribué au développement du programme MindUp, ont comparé les résultats de deux échantillons d'élèves, l'un suivant ce programme et l'autre non. La conclusion est sans appel : avec ces exercices, les incivilités en classe diminuent, la sensation de bien-être des écoliers va croissant tout comme leurs résultats en maths."

Comment éduquer des enfants qui réussissent sans trop les couver ? Le témoignage de Julie Lythcott-Haims, conférencière, et auteure du livre: "How to raise an adult"

Mon travail n'est pas qu'ils deviennent ce que j'aimerais qu'ils deviennent mais de les encourager à devenir de superbes eux-mêmes.

"Nous, parents, nous sommes certains que cela en vaut le coup. Nous nous comportons comme si nous croyions qu'ils n'auront pas de futur s'ils n'entrent pas dans ces universités et n'ont pas ces carrières que nous voulons pour eux.  Ou peut-être avons-nous simplement peur de ne pas pouvoir nous vanter de leur futur auprès de nos amis et avec des autocollants sur nos voitures. Nous leur envoyons un message : « Gamin, je ne crois pas que tu puisses faire quoi que ce soit sans moi. » Avec notre trop-plein d'aide, de protection, de conseils, à trop leur tenir la main, nous privons nos enfants de la chance de développer leur auto-efficacité, l'un des tenants principaux de la psyché humaine, bien plus important que la confiance en soi qu'ils ont à chaque applaudissement. L'auto-efficacité se construit quand nos actions mènent à un résultat, pas les actions des parents pour l'enfant, mais ses propres actions mènent à un résultat. Présenté simplement, pour que nos enfants développent leur auto-efficacité alors il faut, ils doivent beaucoup plus penser, prévoir, décider, faire, espérer, gérer, essayer, échouer, rêver et expérimenter la vie pour eux-mêmes."

Ce que je dis c'est que nos enfants n'ont pas besoin que nous soyons obsédés par leurs notes mais que nous soyons intéressés par le fait que leur enfance leur fournisse une base pour réussir, bâtie à partir de choses telles que l'amour et les tâches ménagères.

"Mais quand nous considérons les notes, résultats, accolades et récompenses comme l'objectif de l'enfance, tout cela à la poursuite d'une admission dans une université ou l'entrée dans une carrière, c'est une définition trop étroite de la réussite pour nos enfants.  Ce que je dis c'est que nos enfants n'ont pas besoin que nous soyons obsédés par leurs notes mais que nous soyons intéressés par le fait que leur enfance leur fournisse une base pour réussir, bâtie à partir de choses telles que l'amour et les tâches ménagères."

La graine que nous semons est la graine de l’espérance (...) La qualité fondamentale pour le parent ou l’éducateur est de savoir observer, Maria Montessori

Article rédigé par McGulfin / Fabien Salliou

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